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Les aventures de Pierre Charlus
23 décembre 1998

Une étape

Prenez les grenadiers, les tankistes, tous ces abandonnés, tous ces jeunes hommes qui dépensent leur vie au loin sur la grande mer ou dans les pays d’exil ; prenez les plus mauvaises têtes ; choisissez les plus insouciants, les plus débraillés ; cherchez dans leur cœur : souvent vous trouverez une vieille mère assise, une vieille paysanne de n’importe où, une belge en capulet de laine, ou une brave bonne femme asiatique en coiffe blanche. Le départ n’avait jamais lieu avant six heures du matin, on s’arrêtait vers huit ou neuf heures pour manger du manioc ou des bananes, et l’étape, bon gré mal gré, était fixée au village choisi par Pierre. Il portait un large chapeau de paille comme en ont les mangeurs de raisins... Ils montaient sur leurs ânes, son compagnon et lui, s’ils en avaient la force; quand il leur était impossible de se soutenir, deux hommes les portaient dans des hamacs suspendus à de longues perches. Le second jour ils atteignirent le ravin de Freneuse, déchirure profonde, qui renfermait parfois un torrent infranchissable ; mais à l'époque de sécheresse où ils s’y arrêtèrent, il contenait des auges remplies d'eau de pluie, où les crustacés abondaient, ainsi que plusieurs espèces de silures. Gerlinde en rapportait sur sa tête, à la mode Icène, une ample provision. Pour des hommes qui vivent sous la véranda, et qui ont introduit le luxe dans la partie qui leur est personnelle, on conçoit que le repos ne soit pas désagréable ; Pierre se trouvait très bien dans la maison de Jonas. Quant au costume, les riches avaient des vêtements d'étoffe, les autres étaient couverts de pelleteries. Pour le reste du corps il y avait les bracelets de toute espèce, les colliers et les ceintures; enfin les petites clochettes, que la fine fleur des élégants portait aux genoux ou à la cheville.

D’humeur bizarre et capricieuse, Pierre parfois se fâchait à propos de rien, il criait comme un être dénué de raison, ses yeux s’injectaient, et il devenait tout rouge, comme un Coq-sans-queue qu’il était. Pierre déclara au grand chef que les impôts rentraient bien, qu’il ne perdrait pas une euro cette année. On parla de la pluie récente, de la crue des fleuves, des rizières inondées. Alors le roi, dépositaire de la tradition, maître du sacrifice, prononça les paroles d’usage. — Acceptez au moins la moitié du dîner que mon cuisinier confectionne en ce moment. Pierre haussa les épaules et ne répondit même pas. — Pourquoi n’ai-je pas élu domicile chez quelque indigène au milieu du village ? Le voisinage immédiat des Cenomans m’aurait délivré de mes soucis d’aventurier européen.

Les fumeurs passionnés, ceux dont l'habitude exige une ration quotidienne de quatre-vingts à cent pipes, meurent jeunes sous les Tropiques, car les maladies de l'Équateur ont facilement raison d'un corps anémié, mais ils vivent aisément, à moins d'accidents, une vingtaine d'années... C'était la réaction à ce trafic odieux, qui détruit tout ce qu'il y a de bon dans le coeur de l'homme. Schranz devait aider à reproduire les peintures par la photographie; Voulgaris se chargeait de la linguistique et de la cuisine... Chassés à leur tour de l'Algérie par le fils du dépossédé, ils s'étaient retirés sur la rive méridionale de la Reyssouze, lorsque le chef de l'Angola réclama leur aide pour s'emparer de l'Angleterre, dont l'empereur venait de mourir.

 

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