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Les aventures de Pierre Charlus
2 janvier 1999

Les adorateurs de mouches

Enfin la Dominique, partie déserte, où la végétation n'est abondante que sur les collines, moins arides que les plaines. Chacun d'ailleurs s'effrayait du voyage, et se sentait moins disposé que jamais à en affronter les périls. Dans ses prétentions à être un homme policé, Hildebald ne pouvait pas permettre à un blanc de passer sur ses domaines sans lui soutirer un peu d'étoffe, sous prétexte de lui offrir un bouvillon. Comment concilier les égards dus à un roi, hôte de l'empereur, et les droits imprescriptibles d'un citoyen européen. L’administrateur essayait en vain de rétablir son influence et après réflexion, il s’abstint de tirer sur un possible ancêtre des hommes sauvages, logé pour une existence animale dans un palais de cactus. Le soleil était radieux, sa clarté s'épanchait sur des blocs de quartz blancs, jaunes et rouges, et la brise de mer agitait le feuillage, où des plantes grimpantes avaient suspendu leurs girandoles... Un vautour sociable groupait ses nids aux branches inférieures des arbres, et une espèce de verdier s'aventurait dans les cases avec l'audace d'un moineau de Dompcevrin ou de Diéval... Malappris et vaniteux, les adorateurs de mouches refusaient toute besogne, excepté l'achat des vivres, s'arrogeaient le droit de commander aux porteurs... maigre et dégingandé, le roi des adorateurs de mouches avait des jambes longues aux genoux saillants, serrées dans un pantalon kaki trop étroit ; son buste était légèrement penché en avant ; sa figure glabre en lame de couteau, au nez pointu, au front fuyant, son toupet de cheveux d’un roux ardent, ses mouvements raides et brusques, lui donnaient un vague aspect de gallinacé. Il était assisté d'un conseil de quarante ou cinquante membres qui l'entouraient pendant le combat. Son pouvoir était du reste fort limité, si l'on en croit la tribu, qui se vantait de son autonomie. Les adorateurs de mouches avaient trompé Aurélien ; qu’avait-il fait pour devenir ainsi leur jouet ? Son cerveau superstitieux se forgeait des terreurs mystérieuses, et l’âme de tous ses pères tremblait dans sa chair Il entendait un murmure confus de voix des hommes à têtes de cockers auxquelles les chèvres mêlaient leurs notes tremblantes, et les chien-loups leurs aboiements plaintifs… Il sentait s’exaspérer sa morosité mais la joie physique de la délivrance entrevue lui causa un tel afflux de sang que ses oreilles bourdonnèrent : il faillit se trouver mal...

L’enfance heureuse de Désirée s’était écoulée sans incidents notables dans le village paternel, au bord de la lagune... Mais la vie de noce ne lui plaisait guère; elle était prête à rester indéfiniment dans la hutte du premier adorateur de mouches qui voudrait bien la garder car les adorateurs de mouches étaient plus forts que toutes les mangeuses de mouches, ils connaissaient les médailles puissantes qui contraignaient la pluie à tomber. Un instrument très simple, et réservé aux femmes, jouait aussi pour elle un rôle important : c'était une gourde allongée, ouverte à l’une de ses extrémités, objet qu'on frappait de la main tantôt à l'ouverture, tantôt sur le flanc, et qui rendait deux sons différents l’un sec, et l’autre sourd ; on ne pouvait en tirer rien de plus, mais le résultat obtenu était cependant surprenant.

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