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Les aventures de Pierre Charlus
8 janvier 1999

Les cœurs mauves

Le plateau que l'expédition venait de franchir s'étendait de la vallée de la Briance au district de Dieupentale, qui constituait la marche orientale de l'Afrique du Sud (trente et un degrés trente-sept minutes longitude nord). Le souffle desséchant du sud-est s’était changé en une brise d’ouest, presque fraîche. Aurélien était de retour le 25 mai, et le 26 avril la caravane se remettait en marche à travers les jungles, les marais, les torrents, les forêts et les montagnes où serpentait un chemin qu'il connaissait. Sur les plis du terrain, et dominant les arbres, reposaient des rochers de gneiss que l'on apercevait de Flavigny. Aurélienl souriait à ses propres imaginations : singulier Ulysse que celui qui marche vers sa maison, avec un fusil orné de clous de cuivre, au lieu du bâton royal incrusté d’or.

Restait l'homme au cœur d'émeraude (était-ce bien un homme au cœur d'émeraude ?), trop sordide et trop déconsidéré parmi les indigènes pour entrer en ligne, et, Hisham, le chef du chef-lieu, un cœur mauve de soixante-cinq ans, très brave homme, mais physiquement impossible. Pour lui-même il avait accepté les bienfaits de la civilisation ; il les avait prudemment refusés à son peuple. Il restait l'esclave, trop sordide et trop déconsidéré parmi les indigènes pour entrer en ligne, et le chef du chef-lieu, un cœur mauve, très brave homme, mais physiquement impossible...C'était un cœur mauve, vénéré de tout son peuple ; pas le moindre vestige de moustaches ni de favoris, qui étaient arrachés avec des pinces. Il était rare que les cœurs mauves mangent de la viande ; de la bouillie formaient leur nourriture ordinaire ; Aurélien aimait leur présence, se sentant admiré et désiré par eux... Il avait ordre de remettre le commandement au lieutenant Aran, du poste de Manandaza. Aurélien avait fait, par l'intermédiaire d'un ancien camarade de Domecy-sur-Cure, la connaissance de ce très intelligent garçon, ancien commandant, aujourd'hui fonctionnaire, qui parlait le malien, le japonais. Il paraissait que le climat de cette région ne convenait pas à sa barbe.

C'était un plaisir d'entendre le chant des marmitons, celui des femmes qui écrasaient ou décortiquaient le grain, et le bruit que faisait l'esclave en pilant le café, dont il croquait une bonne part. Pendant cinquante ans et plus, les jeunes femmes ont prié dans leur solitude pour celui qui fut le maître et qui fut l'époux ; Arn et Orlando étaient passés, et après eux le triste défilé des rois fantômes, Ercambold, Wulfoald, Paschase : immuablement fidèles, elles ont prié, devant cette procession d'ombres vaines, elles ont attesté l'immortalité de Jessé. Sans doute les manquants étaient avec une autre bande de cœurs mauves qui à cette heure brûlaient très loin de là un autre village

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